Entretien

Les visages du gouvernement ouvert : Muriel Poisson

Ⓒ IIEP-UNESCO

Cet entretien a été publié pour la première fois par le Partenariat pour un gouvernement ouvert dans l’article Faces of Open Government.

Voici Muriel Poisson, de l'Institut international de planification de l'éducation de l'UNESCO (IIPE). Muriel a été à l'avant-garde de la recherche et des initiatives explorant les liens vitaux entre les pratiques de gouvernement ouvert et la transparence au sein du système éducatif. En cette Journée internationale de l'éducation, elle partage le résultat de ses recherches sur l'intersection entre l'éducation et le gouvernement ouvert. 

Pouvez-vous nous en dire plus sur l'Institut international de planification de l'éducation (IIPE) et sur le rôle que vous y  exercez ? 

Au cours des 60 dernières années, l'Institut international de planification de l'éducation de l'UNESCO (IIPE-UNESCO) a aidé quasiment tous les pays du monde à développer leurs capacités pour mieux planifier et gérer leurs systèmes éducatifs. 

Par la production de connaissances, la formation et la coopération technique, l'IIPE contribue à l’élaboration et à la mise en œuvre de plans sectoriels d'éducation qui correspondent aux besoins des pays et aux objectifs internationaux en matière d'éducation. 

Nous savons que la seule façon d'atteindre ces objectifs est d'éradiquer la corruption dans le secteur de l'éducation. C'est pourquoi, au cours des deux dernières décennies, j'ai contribué à établir et à diriger le travail de l'IIPE sur l'éthique et la corruption dans l'éducation, en formant quelque 3 000 professionnels de l'éducation aux mesures anticorruption et en produisant un ensemble de matériaux de connaissance. J'ai également apporté un soutien technique aux États membres de l'UNESCO pour les aider, par exemple, à mettre en œuvre des enquêtes de suivi des dépenses publiques ou à élaborer des codes de conduite des enseignants.

En tant que responsable du programme de l'IIPE sur l'éthique et la corruption dans l'éducation, pouvez-vous nous expliquer la relation entre le gouvernement ouvert et l'éducation et nous dire quels sont les principaux avantages que le gouvernement ouvert peut apporter à ce secteur et aux communautés éducatives ?

Dans le contexte de l'éducation, le gouvernement ouvert consiste à rendre les données, les processus et les décisions du gouvernement accessibles au public, afin que le droit des citoyens à l'éducation puisse être protégé et contrôlé.  Comme dans d'autres secteurs publics, cela améliore la transparence et la redevabilité, et peut contribuer à renforcer la confiance du public dans les services essentiels. En mettant l'information à la disposition du public et en impliquant davantage de personnes, on peut rendre les politiques et les réformes plus pertinentes. Cela permet également de s'assurer que les ressources parviennent bien aux bonnes personnes. 

Nous avons vu de nombreux exemples inspirants, comme la politique ouverte à Madagascar, la contractualisation ouverte des repas scolaires en Colombie ou les audits sociaux généralisés en Inde. Le gouvernement ouvert peut prendre de nombreuses formes, mais l'objectif reste le même : rendre visibles les plus vulnérables, donner du pouvoir à ceux que l'on entend le moins et encourager un changement dans la dynamique de pouvoir au sein du secteur. 

Comment des plateformes comme le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO) peuvent-elles contribuer à promouvoir et à améliorer la transparence et la redevabilité dans l'éducation ?

En tant que partenariat impliquant le gouvernement et les organisations de la société civile, le PGO contribue à développer un environnement propice à la transparence et la redevabilité dans le secteur éducatif. Plus précisément, l’IIPE a mené un examen des plans d'action du PGO dans 60 pays sur la période 2011-2019, qui a montré que ces plans contenaient 295 engagements liés à l'éducation. Les principaux thèmes abordés allaient de l'éducation contre la corruption ou de l'éducation à la citoyenneté, aux ressources éducatives libres, à l’e-gouvernement et à la prestation de services éducatifs. 

Mais il serait intéressant de voir comment d'autres sujets liés au gouvernement ouvert, et pertinents pour le secteur éducatif (tels que les données ouvertes sur l’école, la budgétisation ouverte, la contractualisation ouverte, les audits sociaux, et bien d’autres encore), peuvent être également intégrés dans les plans d'action du PGO, que ce soit à l'échelle nationale ou à l'échelle locale. Je considère également les points de contact nationaux du PGO comme des acteurs clés pour faire le lien avec les autorités éducatives et les autres parties prenantes sur le terrain, et aider à promouvoir le gouvernement ouvert dans l'agenda de l'éducation.

D'après votre expérience, quel rôle les données ouvertes sur l’école jouent-elles dans la promotion du gouvernement ouvert dans l'éducation, et comment peuvent-elles bénéficier à la fois aux élèves et au public ?

Les données ouvertes sur l’école sont un outil extrêmement puissant pour rendre opérationnel le gouvernement ouvert. Pendant longtemps, les données relatives aux écoles, qu'il s'agisse des budgets, du nombre d'enseignants, de la disponibilité des installations ou des résultats d'apprentissage, étaient uniquement entre les mains des administrations publiques. Mais ce n'est plus le cas : plus de 50 pays mettent leurs données à la disposition du public, y compris des pays très peuplés comme le Bangladesh, l'Inde et l'Indonésie.

Lorsque ce type de données entre dans l'arène publique et qu'une boucle de rétroaction appropriée est mise en place, il est prouvé qu'elles peuvent contribuer de manière positive à des changements substantiels dans la dynamique de pouvoir au sein du secteur de l'éducation.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de la mise en œuvre des pratiques de gouvernement ouvert dans le secteur de l'éducation, et comment ont-elles été surmontées ?

L'un des défis majeurs est que donner aux citoyens des informations sur leur système éducatif n’est pas suffisant. Nos recherches à l'IIPE ont montré qu’ils ont besoin d'être accompagnés et soutenus tout au long du processus pour que ces données leur soient utiles. Mais l'information et la participation ne suffisent pas. Il est essentiel que tous puissent s’exprimer et de veiller à ce que les autorités publiques tiennent compte des commentaires des citoyens.

Il est également important d'impliquer les étudiants dans les processus de gouvernement ouvert, mais cet aspect est souvent négligé. Les étudiants ont beaucoup à dire et ils sont les bénéficiaires finaux des services éducatifs : leur participation devrait donc être garantie. Il existe de bons exemples d'initiatives de budget participatif impliquant des étudiants au Portugal, par exemple, ou d'un programme de jeunes auditeurs au Pérou, dont on peut s'inspirer dans cette perspective.

Quels conseils donneriez-vous aux membres du PGO qui souhaitent rendre l'éducation plus transparente et exempte de corruption ? 

Sur le plan administratif, mon conseil serait d'envisager les moyens de passer à une approche centrée sur le citoyen, en apprenant de l'expérience acquise par la société civile dans ce domaine. J'encouragerais à la fois les gouvernements et les organisations de la société civile à explorer les nouvelles possibilités induites par les outils numériques pour favoriser une plus grande participation et une meilleure redevabilité. 

Pour tous ceux qui s'engagent ou souhaitent s'engager dans cette direction, mon conseil serait de comprendre les avantages et les risques des outils numériques - comme la mauvaise interprétation des données ou les problèmes de sécurité - afin que la transition vers un système plus ouvert ait les meilleures chances de favoriser des résultats positifs. 

Enfin, étant donné le grand nombre d'initiatives en cours dans le monde qui pourraient être développées ou reproduites, je ne saurais trop insister sur la nécessité d'apprendre de ses pairs et de promouvoir le partage des connaissances aux niveaux régional et international.